The Illness Narratives
Vanessa Desclaux
Crabe chorus. Traversée de différentes formes de récits sur le cancer
La perspective d’une personne « non-concernée », ou comment et pourquoi j’ai initié cette recherche sur le cancer à travers diverses formes de récit

Il est désormais habituel dans le champ des sciences humaines, des arts ou de la littérature, de faire l’effort de situer sa parole, son point de vue. Il n’est pas étonnant aujourd’hui de mettre en avant ce qu’une perspective partielle a de subjectif. C’est même plutôt une nécessité dans la mesure où cela démontre une conscience des biais et des limites de la connaissance que chacun·e peut avoir du sujet qu’il·elle traite. Ma connaissance du cancer n’est pas celle de l’expérience de la maladie en tant que telle. Je n’ai pas été atteinte d’un cancer. Certain·es pourraient reformuler : je n’ai pas (encore) été atteinte d’un cancer. Cette reformulation mettrait alors en évidence le fait que, compte-tenu du vieillissement de la population et de son intense exposition à une multiplicité de pollutions, une majorité d’entre nous feront l’expérience de cette maladie à un moment de leur vie. Ce qui m’a pourtant conduite à la question des récits en rapport avec le cancer, ce n’est pas tant la perspective d’être un jour moi-même malade, c’est plutôt le fait d’avoir souvent, dès l’âge de 6 ans, pensé avoir un cancer. Si cette condition hypocondriaque est assez banale à l’âge adulte, elle est plus surprenante quand elle concerne une enfant aussi jeune. Dans mon contexte familial, le cancer était une sorte de personnage mystérieux, qui avançait, masqué. Mon père a perdu sa jeune sœur d’une leucémie quand il était adolescent. Cette sœur disparue est restée un sujet très peu évoqué, flottant ou suspendu. Je suis l’aînée d’une fratrie de trois enfants ; j’ai une sœur de deux ans ma cadette, et un frère qui a cinq ans de moins que moi. Enfant, mon père exigeait une prise de sang au moindre rhume. Quand j’ai eu un an, mon grand-père paternel est décédé d’un cancer. Quand j’ai eu six ans, c’est ma grand-mère paternelle qui est décédée d’un cancer. Je me sentais très proche de ma grand-mère. Mes parents ont su qu’elle était malade trois semaines avant sa mort. Je ne savais pas qu’elle était malade la dernière fois que je l’ai vue. Il me reste deux souvenirs très marquants, bien que flous, de cette période. Le premier est la fois où je suis entrée dans la maison de ma grand-mère après sa mort, je l’appelle et la cherche partout. Ce souvenir déclenche une grande détresse, comme si cette peine était encore très vivace. L’autre souvenir correspond au geste d’ouvrir le dernier tiroir d’une large commode blanche dans le bureau de la maison de mes grands-parents décédés. Dans ce tiroir je trouve des piles de magazines médicaux sur le cancer. À 6 ans, je sais lire. Et je lis ces magazines – auxquels je ne comprends rien – en cachette. Je me persuade que j’ai l’un de ces cancers. Le plus fréquemment, cela se manifeste par des maux de tête : je suis persuadée d’avoir une tumeur au cerveau.

 

Je ne sais pas de quel cancer mon grand-père, puis ma grand-mère ont été atteints. Quand, plus tard, j’ai posé la question à mes parents, la réponse que j’ai obtenue était qu’ils avaient eu des cancers « généralisés ». Mon père a vaguement évoqué des origines gynécologiques pour le cancer de ma grand-mère. Informée sur le sujet, j’ai évoqué la dimension génétique de certains cancers féminins, et le caractère souvent silencieux de leurs symptômes. Mon frère, qui est médecin, m’a dit que si cela me permettait de m’éviter de me ronger les sangs, il me prescrirait chaque année une échographie. Longtemps j’ai cru que ma sœur et mon frère n’avaient pas été aussi impactés par ce drame familial dont le cancer semblait être le nœud. Mon frère est devenu médecin, et ma sœur est engagée depuis des années comme bénévole dans une association venant en aide aux familles touchées par des cancers pédiatriques.

Des rages indomptables Alexandra Grant, Hélène Cixous, « Des rages indomptables », Itinéraires fantômes, jeu de cartes divinatoires, X artists books, 2024

Un noyau de peine si ancien que personne ne peut l’extraire est la source d’une colère si pure qu’elle efface tout ce qui l’entoure.

En 2019, lors d’une visite d’atelier avec l’artiste Violaine Lochu, dont je connaissais déjà partiellement le travail, cette dernière évoque une série de pièces réalisées à la suite d’un lourd traitement contre un cancer. Je suis très marquée par cet échange et interpellée par les œuvres qui ont émergées de cette expérience difficile et douloureuse. Pendant les mois qui suivirent ce rendez-vous, je penserai régulièrement à ces œuvres, et à la maladie qui en a été le déclencheur. J’ai plus tard l’occasion d’évoquer ces œuvres et leur contexte de création avec l’artiste Arnaud Théval qui mène une résidence de long cours à l’Institut Bergonié, centre régional de cancérologie basé à Bordeaux. Cet hôpital développe depuis plusieurs années une réflexion sur les liens entre art et santé en invitant des artistes dans ses murs. Nous évoquons la possibilité d’inviter Violaine Lochu dans le cadre de ces résidences artistiques en milieu hospitalier ; elle serait la première artiste « concernée » de cette manière par le cancer, ayant été elle-même patiente, soignée en région parisienne. Le travail a été initié en 2022 avec une immersion de « 3 jours et 3 nuits » à l’Institut Bergonié, permettant à Violaine Lochu, en dialogue avec Arnaud Théval et moi, de définir les termes de la proposition artistique qu’elle aimerait mener au sein de l’hôpital. Dans ce texte, je convoquerai la performance réalisée par Violaine Lochu, intitulée Crabe Chorus. Cette performance a eu lieu vendredi 23 juin 2023 sous la forme d’une déambulation dans différents espaces de l’hôpital. Le texte sur lequel la performance prend appui a été écrit à partir du partage des récits de quatorze patientes qui ont accepté de rencontrer Violaine Lochu dans le contexte de temps d’échange collectifs.  J’emprunte, avec l’accord de l’artiste, le titre de cette performance pour mon propre texte car tous deux partagent une dimension chorale, rendant audibles ou lisibles une multiplicité de voix.

Ma collaboration avec l’Institut Bergonié dans le contexte de la résidence d’Arnaud Théval s’est déployée sur une durée d’environ deux ans, avec une intensification des échanges en 2023 en amont de la performance de Violaine Lochu. Au-delà de ce projet artistique spécifique, j’ai été amenée à participer à différentes discussions concernant la place, le rôle et le sens des projets artistiques dans ce contexte hospitalier. J’ai fait l’expérience de la difficulté d’y faire exister des paroles et des récits qui ne soient pas ceux de l’institution médicale ou sanctionnés par elle.

Ce texte est une étape d’une recherche en cours dont la finalité reste à préciser. Il existe grâce à la généreuse invitation de l’artiste Laurie Charles à contribuer à l’espace de recherche – intitulé The Illness Narratives – tools for narrative and artistic emancipation – qu’elle a initié afin de rendre visibles différents cheminements à travers les récits liés à la maladie. Dans le cadre de mon accompagnement de la démarche artistique de Violaine Lochu, j’ai débuté des recherches bibliographiques sur les récits d’expérience des patient·es atteint·es de cancer. Ces recherches se sont enrichies au fil des échanges avec des ami·es

et collègues, de proche en proche, une lecture en amenant aussi souvent une autre. Une rencontre a néanmoins été cruciale, celle de la série de podcasts de Maëlle Sigonneau et Mounia Et Kotni, intitulée Im/patiente. Ce travail a été essentiel pour prendre conscience des enjeux épistémologiques, éthiques et politiques qui traversaient la démarche artistique de Violaine Lochu. Im/patiente https://nouvellesecoutes.fr/podcast/impatiente/ et l’article « Cancer » proposé par Mounia El Kotni dans Feu ! Abécédaire des féminismes présents ont permis de clarifier les termes de la recherche que je souhaitais poursuivre suite à l’invitation de Laurie Charles.

Ce premier texte propose un cheminement à travers mes lectures et mes écoutes, à travers des œuvres photographiques et chorégraphiques. Il les traverse en partageant des fragments que je tente de mettre en lien les uns avec les autres pour faire émerger une conversation entre ces textes. Ma démarche a été façonnée par des intuitions et des amitiés dans un contexte culturel dont il est important de souligner qu’il est occidental. La période concernée par mes recherches s’étend des années 1980 à aujourd’hui. Les questions qui ont guidé ce travail concernent la valeur épistémologique du récit de soi dans une réflexion sur le cancer comme maladie. Plus spécifiquement, je me suis intéressée à la manière dont production artistique et récit autobiographique se conjuguent dans le contexte spécifique de l’expérience du cancer.  J’ai été interpellée par les enjeux éthiques et politiques qui émergent aux côtés des enjeux artistiques et esthétiques. Ma voix se fraie encore difficilement un chemin ici. La forme de ce texte rend visible un travail de montage, dont la nature curatoriale est caractéristique de ma pratique en tant que critique et curatrice.

 

*

 

Enjeux épistémologiques, éthiques et politiques du récit personnel sur la maladie

Dans son texte intitulé Mes mille et une nuits. La maladie comme drame et comme comédie, le philosophe Ruwen Ogien prend position concernant la valeur épistémologique du récit personnel sur la maladie. Il cite Susan Sontag qui a écrit l’important ouvrage La maladie comme métaphore alors qu’elle était atteinte d’un cancer. A propos de sa propre démarche d’écriture, Susan Sontag précise :

« Je ne pensais pas qu’il serait utile – et je tenais à être utile – d’écrire un récit de plus à la première personne où l’on apprend qu’il ou elle a le cancer, pleurer, se battre, être réconforté, souffrir, reprendre courage… bien qu’il s’agisse aussi de ma propre histoire. » Susan Sontag, Le sida et ses métaphores, dans La Maladie comme métaphore, Christian Bourgeois, 1993, p. 134

Ogien envisage cette volonté de ne pas convoquer sa propre expérience de la maladie comme « la crainte de devenir un « paria », c’est-à-dire d’être traité comme un déchet social.» Ruwen Ogien, Mes mille et une nuits. La maladie comme drame et comme comédie, p. 29 Or, il considère que c’est ce fait même, le lien entre la maladie et la condition sociale, qu’il est important d’analyser depuis le point de vue de l’expérience personnelle.

« C’est précisément cette crainte qu’il me parait important de décrire et d’analyser. Et seule l’expérience personnelle vécue, rapportée dans des récits à vocation documentaire ou reconstruite par des procédés littéraires, peut la restituer à mon avis. » R. Ogien, op.cit., p. 30

Le texte de Ruwen Ogien m’a permis de mettre en perspective une dimension importante des récits qui retenaient mon attention et nourrissaient ma réflexion : le lien entre expérience personnelle et collective, c’est-à-dire comment un parcours spécifique de malade peut permettre de mettre en évidence des enjeux sociaux et politiques bien au-delà de son cas personnel.

Dans son Journal du cancer, Audre Lorde évoque l’importance de ne pas mettre sous silence l’expérience vécue de la maladie, dans son cas le cancer du sein. Lorde insiste sur le risque de se murer dans le silence, et de se priver de la conscientisation que le récit, et sa mise en perspective critique, permet de mettre en œuvre.

« Je n’ai aucune envie que ma colère, ma douleur et ma peur du cancer ne se fossilisent en un nouveau silence, au point de me priver des forces qui peuvent jaillir de l’expérience, une fois celle-ci admise et analysée. A l’intention des femmes de tous âges, de toutes couleurs de peau et de toutes identités sexuelles qui estiment que chaque fois qu’on nous impose le silence, dans quelque domaine que ce soit, cela nous divise et nous affaiblit, pour toutes ces femmes, donc, et pour moi-même, j’ai essayé ici de formuler mes sentiments, mes idées, sur la vaste mascarade des prothèses, sur la douleur de l’amputation, la fonction du cancer dans une économie de profit, l’affrontement de la mortalité, enfin sur la force de l’amour des femmes et la puissance, la satisfaction qu’apporte une vie menée en toute conscience. » Audre Lorde, Journal du Cancer, 1998, Mamamélis, p. 17 – 18

Dans ce même texte, Lorde articule son expérience intime de la maladie avec la question du sens de cette expérience dans le contexte de son engagement féministe en tant que femme noire.

« Comment inscrire mon expérience du cancer dans le tissu plus vaste de mon engagement de femme noire, et dans l’histoire de toutes les femmes ? Et surtout, combattre le désespoir, mon principal ennemi intérieur, ce désespoir né de la peur, de la colère et de l’impuissance ? » A. Lorde, op.cit., p. 27

Cette articulation, de nature éthique et politique, entre expérience personnelle et expérience vécue par d’autres de la maladie a été le moteur du travail mené par Violaine Lochu à l’Institut Bergonié où elle a souhaité rencontrer d’autres patient·es dans le contexte d’ateliers collectifs où les personnes étaient invitées à partager leurs expériences.

« Mon point de vue n’est ni « distant » ni « extérieur » : il est informé par ce que j’ai vécu, ce qui me place dans une position particulière. Je ne suis pas une artiste qui vient travailler « sur » ou « à propos de » quelque chose, mais qui vient confronter sa propre expérience à celle des autres. » Violaine Lochu, entretien avec Vanessa Desclaux, juin 2023

Du point de vue de l’artiste ou de l’auteur·ice, la mise en récit de l’expérience de la maladie pose la question du statut du récit, et sa relation à la démarche artistique dans son ensemble. Violaine Lochu met en évidence l’ambiguïté qui traverse cette démarche narrative :

« Même si ces sessions avaient une visée avant tout artistique (et non thérapeutique), leur dimension cathartique a été indéniable, ne serait-ce que par la mise en commun des récits. » Ibid.

La maladie interrompt le cours normal d’un parcours de vie et d’un parcours artistique. Violaine Lochu suggère que l’usage du récit permet de mettre en évidence et d’incarner la transformation qui en résulte.

« La maladie nous oblige à inventer de nouveaux récits personnels. Nous en sortons transformé*es à divers titres. Nous devons composer avec : un corps altéré, la mémoire du traumatisme, les autres dans leurs différentes dimensions (présence, absence, agressivité, soutien…). » Ibid.

Ces récits personnels prennent des formes très différentes, mais ils ont en commun de se différencier des discours médicaux ou institutionnels autour de la maladie.

« Les discours médicaux peuvent être abrupts, par l’usage d’un vocabulaire technique qui exclut le patient de fait ; les médecins sont pris dans des problématiques de temps et d’efficacité ; cette contingence peut générer parfois une parole expéditive, « froide ». » Ibid.

L’enjeu serait alors d’affirmer la valeur épistémologique des récits personnels, c’est-à-dire de mettre en évidence comment ces récits contribuent à enrichir les savoirs sur la maladie, et comment ils s’articulent aux discours médicaux.

Plusieurs artistes et autrices font usage d’un discours particulièrement descriptif de ce qu’ils·elles traversent physiquement. (J’aurai l’occasion de revenir plus tard sur la dimension très crue de certains récits.) Si le discours médical peut paraître froid et abrupt, comme le souligne Violaine Lochu, certain·es mettent aussi en avant des formes d’euphémisation et de mystère qui entourent le discours médical. Ruwen Ogien note que le terme de « cancer » n’apparait nulle part dans ses comptes-rendus médicaux.

« (…) le mot « cancer » n’apparaissait à aucun endroit. Pour les spécialistes, c’est peut-être un terme trop vague, trop général, dont la valeur scientifique serait douteuse : il placerait dans le même panier des pathologies dont on pourrait apprendre un jour qu’elles n’ont pas grand-chose en commun. » R. Ogien, op.cit., p. 76

 

Dans son texte The gift of disease, la poétesse américaine Kathy Acker aborde son récit par une approche très descriptive, tentant de laisser le moins de place possible aux émotions.

« I am going to tell this story as I know it. Even now, it is strange to me. I have no idea why I am telling it. I have never been sentimental. Perhaps to say that it happened. In April of last year, I was diagnosed of having breast cancer. » Kathy Acker, The gift of disease, 1997, The Guardian Weekend

Cette mise en récit semble indiquer qu’Acker cherche à affirmer son point de vue dans un contexte où sa perspective et ses choix pourraient être remis en question.

L’affirmation de la légitimité du point de vue de la personne malade est également mise en avant par Audre Lorde :

« C’est un travail que je dois faire seule. Depuis des mois maintenant je voulais écrire un texte qui ait un sens à propos du cancer et de la manière dont il affecte ma vie et ma conscience de femme, de lesbienne-noire-féministe-mère-amante-poétesse, de tout ce que je suis. Mais surtout, à moins que ça ne revienne au même, je voudrais mettre en lumière les conséquences du cancer du sein dans ma vie et la promptitude avec laquelle on essaie d’étouffer toute tentative d’autodévoilement dès qu’une femme cherche à explorer ces questions, ces réponses. Même quand il s’agit de notre mort et de notre dignité, nous n’avons pas le droit de définir nos besoins, nos sentiments, nos vies. » A. Lorde, op.cit., p. 40

Le terme de « dévoilement » surgit aussi dans les mots de l’écrivaine Annie Ernaux dont le récit évoque le vécu du ou de la patient·e du point de vue du « travail », et le lien qu’elle tisse entre son vécu de malade et son métier d’écrivaine.

« Rien n’était effrayant, poursuit-elle. J’accomplissais ma tâche de cancéreuse avec application et je regardais comme une expérience tout ce qui arrivait à mon corps. [Je me demande si, comme je le fais, ne pas séparer sa vie de l’écriture ne consiste pas à transformer spontanément l’expérience en description.] (…) En France, 11% des femmes ont été, sont atteintes d’un cancer du sein. Plus de trois millions de femmes. Trois millions de seins couturés, scannérisés, marqués de dessins rouges et bleus, irradiés, reconstruits, cachés sous les chemisiers et les tee-shirts, invisibles. Il faudra bien oser les montrer un jour. [Ecrire sur le mien participe de ce dévoilement.] » Annie Ernaux, Marc Marie, L’usage de la photo, 2005, Gallimard, p. 112 – 113

Pour la photographe Jo Spence, le diagnostic de cancer du sein en 1982 a été le déclencheur d’un travail narratif qui allie texte et photographie. Spence met en avant le terme de « narratives of disease ». L’historienne Juliette Melia souligne que :

« l’inflexion sur le mot « narratives », au lieu de « portraits » par exemple, insiste sur le parcours narratif, comme une intrigue ou un drame, de ce que vit le malade, de l’annonce du diagnostic, aux épreuves du traitement, jusqu’à la résolution, guérison ou mort. » Juliette Melia. « Jo Spence : politique du corps hors norme et autoportrait nu », Colloque « Corps en politique » organisé par Sonia Birocheau à l’Université de Paris Est-Créteil-Val de Marne, les 7, 8 et 9 septembre 2016. Colloque « Corps en politique », Sonia Birocheau, 2016, Créteil, France. hal-01425975

Atteinte d’un cancer du sein, l’écrivaine et psychanalyste belge Lydia Flem a produit un texte qui mêle le récit autobiographique de son expérience du cancer à la réécriture des aventures d’Alice, célèbre personnage de Lewis Caroll. Ici, l’usage de la fiction agit sur la construction ou reconstruction du sens, la tentative de remettre de l’ordre – même si cet « ordre » est emprunté à la fiction du conte – dans une réalité elle-même marquée par l’absurdité.

« Si au moins elle pouvait s’inventer un fil, un fil de fiction pour reprendre pied dans la réalité… » Lydia Flem, La Reine Alice, 2011, 2013, Points, p. 20

Si La Reine Alice a été écrit par Lydia Flem après le déroulement des traitements contre le cancer, dans une période qu’on pourrait caractériser comme « convalescente », la relation aux contes de Lewis Caroll et à ses personnages émerge dans l’intensité des traitements contre la maladie. Durant cette période pendant laquelle elle ne parvient pas à écrire, Lydia Flem fait usage de la photographie à travers des assemblages d’images et d’objets Ces photographies de Lydia Flem ont été exposées à la Maison Européenne de la photographie à Paris dans le cadre de l’exposition Lydia Flem Journal Implicite en 2015 https://www.mep-fr.org/event/lydia-flem/ qui mettent en évidence les éléments de la fiction à venir.

 

Enjeux esthétiques ?

Au-delà des enjeux épistémologiques, sociaux et politiques, les récits émanant des artistes et des auteur·ices mettent en évidence des enjeux esthétiques, c’est-à-dire qu’ils nous invitent à explorer les relations qui se tissent entre le récit de la maladie et leur pratique artistique de manière spécifique.

Dans la Maladie comme métaphore, Susan Sontag affirme pourtant :

« Le cancer est un thème rarement présent en poésie ; il scandalise encore, et l’on imagine mal que l’on puisse conférer quelque caractère esthétique à cette maladie. » Susan Sontag, La Maladie comme métaphore, 1977, 1993, Christian Bourgeois, p. 31

Malgré la pertinence de ce texte et son importance dans la littérature critique concernant le cancer, les récits – dont les formes sont textuelles, plastiques, photographiques ou chorégraphiques – que j’ai pu rencontrer tendent à remettre en question cette affirmation mise en avant dans les années 1970.

Faire du cancer un sujet de son travail artistique semble s’être imposé avec beaucoup d’immédiateté et de violence pour la photographe Jo Spence :

« To leap suddenly into something as taboo as breast cancer was like facing a void. . . as an artist I’d used my own body to make statements about the history of the nude. But that was totally different – the body I had put up on the wall then was not diseased and scarred. Those nudes had been about ideological things. Cancer was about my own history. (Spence, 1995: 213) » Citée par Susan E. Bell, “Photo images: Jo Spence’s narratives of living with illness”, Health: An Interdisciplinary Journal for the Social Study of Health, Illness and Medicine, 2002

L’irruption de la maladie dans le travail poétique s’affirme aussi très frontalement dans différents textes de la poétesse Liliane Giraudon :

« faire de la maladie

Une matière première » Liliane Giraudon, Polyphonie Penthésilée, 2021, P.O.L, p. 92

 

« le silence exige de moi que je parle
excavation des tumeurs
comme du poème » Liliane Giraudon, Une femme morte n’écrit pas, 2023, Al Dante, p. 55

 

« comme le cancer le poème travaille » Ibid., p. 60

Dans un texte en prose introduisant Madame Himself, Liliane Giraudon évoque l’interaction entre l’écriture et l’état de son corps dans le contexte de la maladie :

« Le corps n’est plus un allié, il est devenu un obstacle, et c’est à partir de lui que j’avance dans mon vocabulaire, désensablant avec lenteur une variété de scènes et d’actions jusqu’alors inaccessibles. » Liliane Giraudon, Madame Himself, 2013, P.O.L, p. 16

Annie Ernaux évoque également cette relation entre l’écriture et la maladie. Ce travail d’écriture avec la maladie/dans la maladie a été rendu possible grâce à une série de photographies prises dans le contexte de la relation amoureuse qui démarra concomitamment au traitement contre son cancer. Le récit prend pour support ces images ; ces dernières deviennent des fenêtres sur ce que l’autrice traverse à ce moment-là et l’autorisent à en parler.

« Un jour, il m’a dit « Tu n’as eu un cancer que pour l’écrire ». J’ai senti que, en un sens, il avait raison, mais, jusqu’ici, je ne pouvais pas m’y résoudre. C’est seulement en commençant d’écrire sur ces photos que j’ai pu le faire. Comme si l’écriture des photos autorisait celle du cancer. Qu’il y ait un lien entre les deux. » A. Ernaux, op. cit., p. 76

Dans un passage du Journal du Cancer, Audre Lorde rapporte un rêve dans lequel elle prend un cours de « craquelure du langage ».

Le travail photographique de Jo Spence est transformé par le contexte de la maladie et l’expérience des traitements médicaux. Spence va profondément questionner son approche documentaire et les discours que cette approche charrie. Elle interroge également les aspects matériels de la pratique photographique, comme le souligne Susan Bell ci-dessous :

« There are several overlapping discourses that structure Jo Spence’s photographs of her experiences with cancer that therefore must be deployed in order to make sense of them. On one level, she engaged with discourses of photography. She was sharply critical of the modernist project in photography that linked science, expertise, and power. The techniques she used in making photographs were designed to expose and criticize the modernist project. For example, she was deeply committed to making photography accessible to people, not just the images in her photographs but the technology itself (Barndt, 1998). She looked for inexpensive materials and the simplest equipment for making pictures, taught photography to children, and co-authored a book titled What can a woman do with a camera? (Solomon and Spence, 1995) » S. Bell, op. cit.

A travers mes recherches, je me suis également intéressée au travail chorégraphique d’Anna Halprin qui s’est profondément transformé suite à son expérience du cancer. Halprin décrit la danse comme une expérience « holistique », une pratique qui lui a permis de tisser des liens étroits entre les dimensions matérielles et spirituelles de l’expérience vécue. La danse ne se limitait plus au cadre de la pratique artistique. Halprin décrit également une expérience singulière de visualisation de sa tumeur par le biais du dessin.

« Once I had an intuition that there was something in my body that needed attention. I went to the doctorand discovered I had a malignant tumor. I had drawn that tumor in my body. It was like a diagnosis. It came early enough that I was able to have it taken care of, but that was a great revelation – that I could draw a proper image of what was inside my body and had never seen. » Ilene A. Serlin, Interview with Anna Halprin, American Journal of Dance Therapy Vol. 18, No. 2, Fall/Winter 1996, p. 119 – 120

Invitée à performer dans le cadre d’un festival contre la guerre du Vietnam le 2 février 1967 à Hunter College, Yvonne Rainer qui a été soignée pour un cancer quelques mois auparavant et a subi une opération chirurgicale, présente sa pièce Trio A sous la forme de ce qu’elle désigne comme Convalescent Dance.

« Convalescent Dance introduced four variables to the Trio A format: a single performer; a white costume; a convalescent state, a stage of protest. Trio A, and by extension Convalescent Dance, includes no grand gestures, no epic feats, no gravity-defying demonstrations of skill or agility.» Risa Puleo, « Sitting beside Yvonne Rainer’s Convalescent Dance », Art Papers Winter 2018/2019 (en ligne)

 

Dépossession : des « corps anarchiques »

L’exploration de ces récits autobiographiques émanant d’artistes et d’auteur·ices a fait émerger différents motifs, un socle commun sur lequel s’articulent la multiplicité et la singularité des parcours. L’un de ces motifs est celui de la « dépossession » : le sujet perd le contrôle de son corps dont le comportement est caractérisé comme « anarchique ». L’une des rencontres clé dans ma trajectoire de recherche a été la visite de l’exposition Nos corps anarchiques à Mécènes du Sud à Montpellier. Nos corps anarchiques est une exposition de Georgia René Worms dans laquelle j’ai pu voir les œuvres de Jo Spence et Liliane Giraudon. Suite à cette visite, j’ai écrit un texte critique intitulé Respirer, conspirer ensemble, publié en ligne dans AOC : Respirer, conspirer ensemble – sur « Nos corps anarchiques » – AOC media

« Cancer became my whole brain » Kathy Acker, op. cit.

Ruwen Ogien met en avant les mots de Marcel Proust un siècle auparavant :

« C’est dans la maladie que nous nous rendons compte que nous ne vivons pas seuls mais enchaînés à un être différent, dans des abîmes qui nous séparent, qui ne nous connaît pas et duquel il est impossible de nous faire comprendre : notre corps. » Marcel Proust, Le Côté des Guermantes, Paris, Le Livre de poche, p. 328

Débutant Madame Himself avec la phrase : « On va trouver des mots pour ça », Liliane Giraudon ajoute plus loin :

« L’expérience que je vais ici relater relèverait plutôt à mes yeux d’une dépossession. » L. Giraudon, Madame Himself, op. cit., p. 9

La poétesse convoque son cancer du sein, tout en échappant au récit autobiographique à proprement parler. Elle écrit à partir de l’épreuve matérielle du corps malade, et vieillissant.

« Chaque jour à l’hôpital, on m’attache à une machine, on me laisse seule et une partie du sein est brûlée. » (…) « Je progresse moi-même dans une vie qui n’est plus la mienne, me retrouve enfermée dans un corps qui n’est plus le mien, que la maladie (ses outils et ses conséquences) a rendu non seulement étranger mais inadéquat. » Ibid., p. 15

Le récit de Lydia Flem tente aussi de verbaliser cette relation inédite à son propre corps :

« Mon corps est empêché, je suis hors du monde, dépossédée. Douleurs ou souffrances, je ne connais pas de répit. Je dis « mon » corps ou « mon » sommeil, mais ils ne m’appartiennent pas, je ne dispose pas d’eux, je ne suis même plus certaine de pouvoir prononcer le mot « je ». Il s’agit seulement de tenter de survivre comme une goutte d’eau, un caillou. » L. Flem, op. cit., p. 118

Les récits pointent également la manière dont ce corps malade dont ils et elles décrivent le comportement anarchique est objectivé par le monde médical.

« Face à la médecine, à l’objectivité des expérimentations, des protocoles, des statistiques, elle n’avait rien d’autre à déposer dans la balance qu’un corps malade, une subjectivité qui n’intéressait personne. » Ibid., p. 188

Beaucoup de ceux et celles dont j’ai exploré les récits et les œuvres déplorent que les personnes malades ne soient pas prises en considération, renforçant ce sentiment de dépossession. Cette idée est particulièrement puissante dans le texte de Flem.

« Vous faites erreur, les malades n’existent pas ; vous n’êtes qu’une maladie. Mais, consolez-vous, vous avez obtenu la reine des maladies, précisa la souveraine sur un ton de plus en plus courroucé. » Ibid., p. 83

Violaine Lochu en témoigne également avec précision dans notre entretien :

« Une nécessité s’est imposée à moi : reprendre possession de mon corps, de mes pensées et de mon identité, qui étaient soumis depuis plusieurs mois aux contraintes physiques et psychiques imposées par la maladie. Les images et les discours médicaux m’avaient en quelque sorte dépossédée, coupée de mon imaginaire propre. Le statut de patient*e (qui renvoie étymologiquement à la passivité), dont le corps est tributaire des informations et des résultats médicaux, réduit à l’organe malade et à ce qui dysfonctionne, peut être très aliénant. Dans l’environnement hospitalier, le temps et l’espace pour développer un point de vue réflexif existent très peu, sinon pas du tout. » Violaine Lochu, op. cit.

La photographe Jo Spence fait usage d’un procédé d’une grande radicalité pour évoquer cette dépossession qu’elle rapproche de la mort elle-même à travers une photographie où elle se met en scène, le corps dissimulé sous un drap comme à la morgue, une étiquette avec son nom apparaissant au niveau du pied https://hymancollection.org/artists/89-jo-spence/works/1963-jo-spence-photo-therapy-write-or-be-written-off-1988/ . La photo est intitulée : Photo therapy: Write or be Written Off Ma traduction : « écrire ou disparaître », 1988. Cette image met en évidence la peur d’une issue fatale de la maladie, mais elle révèle aussi, de manière métaphorique, la volonté de l’artiste de se réapproprier le discours concernant son vécu en tant que malade. Elle refuse la passivité de patiente, brutalement associée ici à la figure du cadavre.

Annie Ernaux évoque l’étrangeté du corps soumis aux traitements ; un corps transformé au point qu’il devient méconnaissable.

« Quand cette photo a été prise, j’ai le sein droit et le sillon mammaire brunis, brûlés par le cobalt, avec des croix bleues et des traits rouges dessinés sur la peau pour déterminer précisément la zone et les points à irradier. En même temps il m’a été prescrit un protocole de chimiothérapie postopératoire différent du précédent et, toutes les trois semaines, je dois porter durant cinq jours d’affilée, même la nuit, une espèce de harnachement : j’ai, autour de la taille, une ceinture et un sac banane renfermant une bouteille en plastique en forme de biberon qui contient des produits de chimio. (…) Quand je suis nue, avec ma ceinture de cuir, ma fiole toxique, mes marquages de toutes les couleurs et le fil courant sur mon torse, je ressemble à une créature extraterrestre. » A. Ernaux, op. cit., p. 109 – 110

Cette image de la créature extra-terrestre a quelque chose de burlesque, donnant un ton décalé au discours sur le dispositif médical. Annie Ernaux fait également usage d’autres métaphores percutantes, poursuivant ses comparaisons avec des figures non-humaines, ici un lave-vaisselle et une chienne.

« Pendant des mois, mon corps a été le théâtre d’opérations violentes.
Lors des séances de chimio, je le comparais avec amusement à un lave-vaisselle, auquel la durée du « programme » – entre une heure et une heure trente -, l’introduction à la fin d’un « produit de rinçage » font immanquablement songer. Il n’a pas cessé non plus de se modifier : calvitie et dépilation intégrale, cicatrice, et dans les semaines suivant l’opération, au creux de l’aisselle, une espèce de grosse orange remplie de lymphe qui me forçait de tenir le bras écarté du buste. Puis repousse de cheveux, fins et frisés, de poils, comme une fillette prépubère. Mon odorat est devenu extrêmement sensible, je détectais à distance toutes les odeurs, même les plus imperceptibles habituellement. Elles étaient comme palpables. C’était une découverte et cela me plaisait de sentir le monde comme une chienne. » Ibid., p 111

 

Déconstruire, conscientiser, politiser l’expérience de la maladie

Comme je le suggère dès l’amorce de ce texte, les enjeux au cœur de la démarche des artistes et auteur·ices exploré·es ici sont éthiques et politiques. Les usages du récit sont critiques : ils visent à mettre en crise, à interroger l’expérience des traitements, des discours médicaux et les différents aspects de la vie sociale (relations à l’entourage, au travail). De nombreuses facettes de l’expérience de la maladie sont passées au crible. S’il y a des points communs, des convergences entre les récits, il est important de souligner que ces expériences restent singulières et sont fortement conditionnées par les conditions sociales d’une époque et d’un lieu, ainsi que par les politiques publiques en matière de santé.

Les textes de Jo Spence (cette dernière vit en Grande Bretagne durant la période de sa maladie de 1982 à 1992), Audre Lorde (elle vit aux Etats-Unis au moment où elle est diagnostiquée d’un cancer du sein en 1977, et jusqu’à sa mort en 1992) et Kathy Acker (elle vit aux Etats-Unis et en Grande Bretagne au moment de sa maladie à la fin des années 1990) sont marqués par des aspects spécifiques de l’état de la recherche médicale et de la prise en charge de la santé, et de la manière dont l’identité et la condition sociale des personnes affectent leur rapport à la maladie.

La pratique photographique de Jo Spence est inscrite dans une démarche collective, ancrée dans le milieu social ouvrier dans lequel elle a grandi à Londres. Dès les années 1970, elle s’engage dans les débats artistiques et théoriques dans le champ de la photographie documentaire. Sa démarche féministe se caractérise par une volonté de repenser les usages populaires de la photographie et de valoriser la place de l’éducation à travers des ateliers d’expérimentation destinés à une grande variété de publics. L’artiste se décrit comme « éducatrice photographique » et affirme la nécessité de photographier les institutions afin de les examiner, et d’en cerner les mécanismes et les effets sur les vies des personnes.

Lorsqu’un cancer du sein lui est diagnostiqué en 1982, elle entame un travail au long cours sur le cancer du sein et plus largement, sur les institutions médicales en Grande Bretagne. Elle investit la possibilité d’une réappropriation par les personnes concernées des questions relatives à leurs corps et leur santé dans leurs dimensions globales, en lien étroit avec leurs conditions de vie, leur éducation et leur travail. Sa pratique s’est construite à travers différentes collaborations artistiques avec d’autres photographes tels que Rosy Martin, Maggy Murray et Terry Dennett. Dans ce contexte, Jo Spence définit une posture critique vis-à-vis du portrait photographique, remettant en question le contrôle que le ou la photographe exerce et les représentations que son travail produit. Avec ses collaborateurices, Spence expérimente une pratique transformatrice qu’elle définit comme thérapeutique. Elle invente le terme de « photothérapie » pour désigner cette démarche de co-création entre le ou la photographe et son modèle, à travers laquelle elle explore les représentations et récits de soi dans leur pluralité. Elle introduit un processus de transformation, dont l’ambition est d’amplifier la capacité d’agir des personnes photographiées comme du ou de la photographe.

Spence insiste sur la nécessité de rendre les représentations visuelles de la maladie et de la médecine plus diverses et plus complexes et d’ôter leur caractère naturel aux images produites par les institutions elles-mêmes. Avec ses collaborateurices, iels ont dénoncé les inégalités et formes d’oppression dans la santé publique et fait émerger différents paradigmes du soin et de la santé.

« Beginning in 1982, at the time she was diagnosed with breast cancer, Spence engaged in a series of collaborative projects to construct photographic narratives of her experiences with illness, medicine, and alternative healing practices. » S. Bell, op. cit.

« In her photographs of illness, Spence was also contesting the power of western science and physicians to fragment lived experience, to reduce people to bodies, and to create passive patients. According to critic Jean Dykstra, her photographs and the pointed, articulate text that accompanies them, are interrogations not only of conventions of beauty and the female body, but of codes of representation, constructions of disease, and explorations of identity. Perhaps most significantly, they demand that viewers become aware of the visual codes that construct ideas of gender, sexuality, class, illness and the kind of body that is ‘fit to be seen’. (Dykstra, 1995: 8) » S. Bell, op. cit.

Spence met au premier plan les blessures qu’infligent les origines, le genre et l’altérité que ces blessures induisent ; elle refuse de se conformer aux attentes et aux conventions, en particulier le fait qu’on considère comme impropre de montrer un corps de femme malade, mutilé. Spence affirme : « Dans ces photographies il y a le début d’un langage en tant que « sujet », qui me permet de commencer le processus douloureux d’expression de mes propres sentiments et perceptions, de remise en question de la « laideur » d’être considérée comme Autre. »

L’enjeu est de ne pas se poser en victime et de proposer aux femmes faisant l’expérience du cancer une image de dignité.

« Nous cherchons ce qu’on ne dit pas, ce qu’on ne peut pas dire (le non-dit visuel), ce qui est déplacé ou rendu absent, ce que l’on considère impensable/indicible, censuré de nos consciences, et ce qui, en termes de lutte des pouvoirs et des classes, est rendu invisible, ce dont on ne parle pas, ce qu’on ne montre pas, ce qui est souvent activement supprimé. » Jo Spence, The cultural snipper: the art of transgression, 1995, Routledge, p. 85

Dans le texte qui lui a été commandé par The Guardian Weekend, Kathy Acker évoque de manière frontale la question économique dans la considération des traitements médicaux aux Etats-Unis :

« I was terrified of cancer. I feared chemotherapy more.
At that time I was working as a visiting professor at an art college and so did not qualify for medical benefts. Since I didn’t have medical insurance, I would have to pay for everything out of my pocket. Radiation on its own costs $20,000; a single mastectomy costs approximately $4,000. Of course, there would be extra expenses. I chose a double mastectomy, for I did not want to have only one breast. The price was $7,000. I could afford to pay for that. Breast reconstruction, in which I had no interest, begins at $20,000. Chemotherapy, likewise, begins at $20,000. » K. Acker, op. cit.

The gift of disease de Acker est un récit troublant car il rend compte de la détresse de l’écrivaine face à la peur que suscitent les traitements et leur coût économique et social. Elle y évoque la question de la décision vis-à-vis de plusieurs possibilités de traitement, et plus spécifiquement son choix d’une double mastectomie. Elle détaille aussi sa recherche et sa poursuite de traitements alternatifs qui l’éloigneront définitivement de la médecine traditionnelle.

Dans son Journal du Cancer, Audre Lorde convoque également la question de la mastectomie, c’est-à-dire l’amputation du sein. Elle interroge les prothèses et la reconstruction chirurgicale du point de vue de l’invisibilisation.

« Je mentirais si je ne parlais pas aussi de perte. Toute amputation est une réalité physique et psychique qui oblige à une nouvelle perception de soi-même. La disparition de mon sein me cause une tristesse récurrente, mais qui ne domine pas l’ensemble de ma vie. Il me manque, parfois cruellement. Alors que d’autres femmes amputées d’un sein se protègent derrière le masque de la prothèse ou l’illusion dangereuse de la reconstruction chirurgicale, il se trouve que je rencontre peu de femmes qui approuvent mon rejet de ce que je considère comme une imposture cosmétique. Pourtant, j’estime que les prothèses, qui reçoivent l’aval de la société, ne sont qu’une autre manière d’imposer le silence aux femmes atteintes d’un cancer du sein, et de les empêcher de communiquer entre elles. Peut-on imaginer ce qui se passerait si une armée de femmes opérées du sein faisaient une descente sur le Congrès pour exiger l’interdiction des hormones saturées de graisse et cancérigènes dans l’alimentation animale ? » A. Lorde, op. cit., p. 26

L’invisibilisation de la maladie sur la scène sociale mis en avant par Lorde a fait écho aux questions soulevées par Maëlle Sigonneau dans sa série de podcasts Im/patiente. Atteinte d’une forme grave de cancer du sein à l’âge de 30 ans, Sigonneau interroge les injonctions à « performer la féminité » dans le contexte de la maladie.

« Ainsi, tandis que les traitements transforment leur apparence physique, plus les patientes perdent ce qui les rapproche de la norme de féminité, plus elles sont enjointes à s’y raccrocher. » Mounia El Kotni, « Cancer », Feu! Abécédaire des féminismes présents, Libertalia, p. 66 – 67

Monia El Kotni, anthropologue et collaboratrice de Maëlle Sigonneau pour Im/patiente, met néanmoins en évidence :

« Se plier à la norme a aussi quelque chose de réconfortant lorsque l’on est au cœur de la maladie et que tout le quotidien est bouleversé, jusqu’à l’intimité, l’estime de soi, la relation à son corps, la vie affective et sexuelle. » Ibid., p. 69

Pour Jo Spence, Audre Lorde, Maëlle Sigonneau, Monia El Kotni, Annie Ernaux ou Violaine Lochu, il apparait central de considérer le cancer comme un problème de santé publique, et questionner le fait que les cancers « soient toujours considérés comme une question d’ordre privé, qu’il faut camoufler, pour sauver les apparences. »

« Pour faire du cancer du sein une question politique, Maëlle pensait à un réseau de santé communautaire, par et pour les patientes, où les diverses expériences du cancer auraient toute leur place. » Ibid., p. 72

Jo Spence évoque non pas des corps « anarchiques » mais des corps indisciplinés/misbehaving bodies : « dissident cancer patients », « unpictured selves », « not fit to be seen », qu’elle photographie sans relâche.

 

 

 

« Les dames sont priées

              de ne pas mettre

              leur utérus sur la table » L. Giraudon, Polyphonie Penthésilée, op. cit., p. 103-4

 

            « féroce cancéreuse

même ouverte

            enfonce la porte » L. Giraudon, Une femme morte n’écrit pas, op. cit., p. 66

Comme Spence ou Lorde, Violaine Lochu insiste sur sa prise de conscience des inégalités de classe, de genre et d’origine géographique dans le vécu de la maladie.

« Lors des ateliers, nous avons cherché à sentir en quoi la perception de la maladie est singulière pour chaque patient*e, mais aussi ce qui peut faire lien entre les différentes expériences – la teneur et la forme du discours médical, la maladresse voire la violence de certaines réactions dans les cercles amicaux et familiaux, le rapport à la « féminité », etc… Il s’agissait de politiser ce qui est vécu d’abord comme une expérience éminemment privée et intime. Le corps malade objectivé par le discours médical est un support de projection, d’angoisses et de peurs collectives. C’est aussi un catalyseur des inégalités de classe, de genre et d’origine géographique : en fonction de nos ressources (sociales, économiques, éducationnelles…), nous ne sommes pas égaux face aux soins, aux discours, aux conséquences de la maladie… »

Dans leurs textes, Lydia Flem et Ruwen Ogien portent une attention particulière à la violence qui traverse les pratiques médicales et l’hôpital en tant qu’institution.

« Et quoiqu’elle occupât indûment un emplacement, on lui appliqua le protocole minimal : elle fut à toute heure éveillée quand elle dormait, endormie quand elle se réveillait, envoyée dans des couloirs déserts, puis ramenée sans explication. Elle reçut du poisson à l’ammoniaque et de l’ammoniaque sans poisson. On la gardait sans la regarder. (…) Ne suis-je donc la patiente de personne ? Ne suis-je donc personne ? » L. Flem, La Reine Alice, op. cit., p. 135

Ruwen Ogien évoque les passages incessants des médecins, les réveils brutaux et questionne le rapport à la douleur dans la gestion des soins et dans le contexte de la hiérarchie médicale. Il met en évidence que les personnes en charge de s’occuper et de se préoccuper de la douleur des patient·es sont en bas de cette hiérarchie. Son récit est particulièrement véhément vis-à-vis de ce qu’il désigne comme le dolorisme en tant que discours sur les dimensions positives de la douleur : meilleure connaissance de soi, résilience…

« Ces réponses (doloristes) m’ont paru conceptuellement infondées et pratiquement dangereuses, dans la mesure où elles contribuent à discréditer la souffrance des personnes atteintes de graves maladies, à renforcer la violence sociale qui s’exerce à leur encontre et à protéger certaines formes de paternalisme médical. » R. Ogien, op. cit., p. 215

Au moment où elle écrit son essai, Susan Sontag interroge elle-aussi le paternalisme médical qui conduit à rendre le malade responsable de sa maladie.

« Considéré comme l’échec de l’individu à s’exprimer, le cancer porte en lui la condamnation de sa victime, une condamnation d’où n’est pas absente la pitié, mais qui traduit aussi le mépris. » S. Sontag, op. cit., p. 69

Elle met en évidence le fait qu’on ne semble pas envisager de juguler les causes de la maladie (en particulier celles liées à la pollution industrielle) mais on se donne comme seul objectif la guérison. Sontag ne manque pas de souligner les relations entre le développement de la recherche médicale et l’entreprise capitaliste. Elle met aussi en avant une métaphore qui a la vie longue : la brutalité admise des traitements médicaux et le langage militaire qui caractérise les traitements et la lutte contre la maladie.

Ruwen Ogien rappelle que le cancer est pour beaucoup de malades aujourd’hui, une maladie dite chronique. Il souligne :

« Affection de longue durée est une qualification administrative qui est attribuée en vertu d’une politique étatique de la santé qui pourrait changer pour des raisons non pas scientifiques mais budgétaires ou idéologiques. Elle signifie seulement que telle ou telle maladie figure sur une « liste établie par décret des affections comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse. » R. Ogien, op. cit., p. 31- 32

 

Cruauté de la maladie, crudité des modalités d’expression des malades

« (…) le seul mot de cancer contraignait à penser à une sombre créature pourrie et malodorante qu’on ne regarderait même pas quand on la chasserait à coups de pied. » Alice Munro, « Nuit », Rien que la vie, Editions de l’Olivier, p.270

Un des motifs et fil rouge qui a pu m’interpeller dans les premiers temps de cette recherche est le caractère cru des modalités d’expression, verbales ou non verbales, des personnes concernées par la maladie. Cette crudité fait écho à la nécessité du dévoilement que j’ai pu évoquer précédemment. Le sentiment que la société dans son ensemble préfèrerait ne pas voir, et qu’il est donc nécessaire de montrer.

« Passing through the hands of the medical orthodoxy can be terrifying when you have breast cancer. I determined to document for myself what was happening to me. Not to be merely the object of their medical discourse but to be the active subject of my own investigation. Here whilst a mammogram is being done I have persuaded the radiographer to take a picture for me. She was rather unhappy about it, but felt it was preferable to my holding the camera out at arm’s length and doing a self-portrait. » Jo Spence, Putting myself in the picture, 1988, p.153

Jo Spence n’hésite pas à exposer le corps transformé par les traitements. Juliette Melia souligne que « l’examen ne prend pas en compte le corps dans son entier, mais seulement pour la partie du corps qui souffre, le sein dans le cas de Spence, un morcellement du corps qui renverse de façon morbide la focalisation surréaliste sur le buste féminin, source de plaisir visuel et érotique pour les hommes, foyer de la maladie, source de mort pour Spence. » J. Melia, op. cit.

 

« Après fixation et inclusion en paraffine on retrouve une tumeur mesurant 8mm sur 10mm. » L. Giraudon, Madame Himself, op. cit., p. 64

« Ils disent qu’ils ont taillé dans le sein.

Répétant que dans ce contexte faire la lumière c’est détruire. » Ibid., p. 65

« Un silence de morte

              fait-il moins de bruit

              qu’un silence de mort » L. Giraudon, Polyphonie Penthésilée, op. cit., p. 109

 

« [Maintenant j’ai l’impression d’avoir dit à M. « j’ai un cancer du sein » de la même façon brutale que, dans les années 60, j’avais dit à un garçon catholique « je suis enceinte et je veux avorter », pour le plonger, sans qu’il ait le temps de s’en prémunir et de se composer ainsi une attitude, dans la vision d’une réalité insoutenable.] » A. Ernaux, op. cit., p. 22

 

Le temps du récit

Une question s’est posée à la marge des lectures et des recherches, celle du moment qui a été choisi ou qui s’est imposé aux artistes et auteur·ices pour mettre en forme leur récit, convoquer l’expérience de la maladie dans leur travail artistique.

Certains récits se déclenchent dès le moment de bascule du diagnostic, d’autres émergent dans l’intensité des traitements. Violaine Lochu évoque une énergie très particulière, de survie, dans cette période des soins, dont la durée est immensément variable selon les parcours.

« Toutes les ressources personnelles étaient mobilisées. »

La maladie se présente comme une interruption du cours normal de la vie et du travail. Certaines personnes semblent exprimer le besoin de garder le fil du temps qui passe. Audre Lorde tient ainsi un journal qui donnera la colonne vertébrale à son texte par la suite. Lydia Flem crée des petites scènes, des natures mortes qu’elle photographie et qui seront le support de son récit par la suite. Annie Ernaux, avec la complicité de son compagnon Marc Marie, poursuit un protocole photographique dont les images seront support d’une écriture qui laisse émerger, par fragments, un récit sur la maladie.

 

« ce traitement sans fin » L. Giraudon, Une femme morte n’écrit pas, op. cit., p. 28

« je pense « je rayonne »

obstination partout       le monde vivant s’éloigne » Ibid., p. 32

Certain·es auront la possibilité de se dédier au récit à la suite des traitements, dans un temps considéré comme celui de la convalescence. C’est dans ce relatif calme retrouvé que le récit La Reine Alice sera écrit par Lydia Flem. J’ai également évoqué la performance de Trio A intitulée Convalescent Dance d’Yvonne Rainer.

Maëlle Sigonneau n’a pas survécu à sa maladie et Im/patiente sera finalisé après son décès grâce à sa collaboratrice Monia El Kotni à partir des entretiens et des synopsis préparés en amont par l’autrice.

 

« Au régime des traductions et rétrotraductions Elle devient Lui.

De vivante passe à morte.

Guérie. Elle est guérie. » L. Giraudon, Madame Himself, op. cit., p. 80

 

Récits d’émancipation, rituels de réappropriation

L’ensemble des récits et des œuvres que j’ai pu explorer ici façonnent des récits d’émancipation et de transmission. Dans leur diversité et leur singularité, ces récits incarnent une volonté de se réapproprier une subjectivité malmenée par le contexte de la maladie et un corps qui leur est devenu parfois comme étranger.

Lors de notre entretien, Violaine Lochu, dont le travail est caractérisé par l’usage de la voix, du son et de la performance, rend compte de ses intentions vis-à-vis d’un premier ensemble de pièces réalisées peu de temps après ses traitements, et évoque l’idée de re-empowerment ou ré-empuissancement.

« OrganOpera est une installation sonore immersive faite pour un espace d’exposition spécifique. Deux immenses coussins accueillent les visiteurs, invités à s’abandonner à l’écoute, dans un espace baigné de lumière rouge. La pièce sonore a été réalisée à la suite de séances d’hypnothérapie, pendant lesquelles je visualisais mes organes et attribuais à chacun d’eux un « chant ». Travaillé à partir de ma voix, le son évoque les fréquences du corps, l’intériorité physique et organique. (…) Magnetic Song est une performance pour deux vocalistes, conçue en écho aux nombreuses séances d’IRM qui ont ponctué mon traitement ; les sons émis par la machine produisent des vibrations puissantes, perçues par l’ensemble du corps : c’est une sensation proche de celle que peut produire la musique noise. Lors de l’examen, le corps est comme « encapsulé », immobilisé, et placé sous perfusion. C’était pour moi une expérience contraignante, stressante, claustrophobique, qui renvoyait aussi bien sûr, à l’angoisse de la maladie. L’enjeu de cette pièce était de « ré-entendre » la machine depuis mon point de vue d’artiste, d’analyser et de dédramatiser cette expérience. Dans la performance, je tente d’explorer une forme d’hybridation ; c’est un devenir-machine. (…) Ces [trois] pièces sont un acte de re-empowerment, de reprise de puissance en quelque sorte. Le geste artistique, dont la dimension cathartique est dans ce cas importante, m’a ré-ouvert la voie(x) de mon propre récit. » Violaine Lochu, op. cit.

Le terme de « rituel » est apparu dans le contexte des démarches d’Anna Halprin et de Violaine Lochu. Anna Halprin fait usage de ce terme qui lui permet de qualifier sa démarche en considérant un usage, sans pour autant lui reconnaître une dimension à proprement parler thérapeutique.

« I was able to envision a kind of dance that had a purpose, a healing purpose, a societal purpose, an environmental purpose. I never really considered myself a therapist, although I may be referred to as a therapist. I consider myself simply a dancer. I began to think of these dances I was making as rituals. I found that the word ritual enabled me to move more consciously into the realm of dancing for the people, dancing for a change to happen in the life of the community, in the life of the planet, in the life of a relationship.» Ilene A. Serlin, Interview with Anna Halprin, American Journal of Dance Therapy Vol. 18, No. 2, Fall/Winter 1996, p. 120

La performance Crabe Chorus – qui a donné son titre à ce texte – est née d’une démarche menée à distance dans le temps du traitement de la maladie. Cette démarche, construite au contact des conversations avec d’autres patientes, a abouti à la création par Violaine Lochu d’une performance qui s’apparente, pour l’artiste, à un rituel. A l’instar des intentions mises en évidence par Anna Halprin, le rituel imaginé par Violaine Lochu avec Crabe Chorus entretient un lien avec la question du soin. La notion de « soin » est ici prise dans un réseau de liens et d’attachements, artistiques et politiques, éthiques et spirituels.

« En latin, le mot cancer désigne un crabe. La performance mettra certainement en scène une sorte de prêtresse-guérisseuse dont la gestuelle et le costume seront inspirés de cet animal. La restitution chorégraphiée des récits agira comme un rituel cathartique : traverser de nouveau symboliquement le traumatisme, faire entendre les maux, extérioriser la douleur physique et psychologique… » Violaine Lochu, op. cit.

« Il permet aussi d’inventer de nouvelles alliances, de nouvelles trajectoires. À titre personnel, les lectures féministes et queer m’ont permis de penser mon corps autrement, au-delà des discours hétéronormés. La rencontre avec la pensée extra-occidentale de la maladie, en l’occurrence la tradition animiste vaudou au Bénin, m’a fait découvrir d’autres possibilités d’inclusion –sociale et spirituelle– des corps « hors-normes ». » Ibid.

« Dans certains répertoires musicaux que j’ai eu la chance de rencontrer – pizzica du Salento (Italie du Sud), accompagnant les rituels du tarentisme (phénomènes de transe autour de la figure de la femme-araignée), chants de guérison dans certaines cérémonies vaudou…–, le chant est un acte social, il « soigne » la communauté à laquelle il est adressé. C’est un des aspects auxquels s’attache mon travail. » Violaine Lochu, op. cit.

La dimension collective du rituel s’affirme à travers d’autres récits explorés ici. Dans ses textes, Audre Lorde n’aura de cesse de faire référence à la communauté de femmes qui lui apportent force, amour et soutien.

« Désormais toute forme de soutien comportera pour moi une connotation ou imagerie particulières, teintée d’érotisme, avec entre autres cette vision où, flottant dans la mer, je suis entourée par un cercle de femmes comme autant de bulles tièdes qui me maintiennent à flot. Je sens la texture de cette eau accueillante juste au-dessous de leurs yeux et je n’en ai pas peur. Le parfum sucré de leur souffle, leurs rires et leurs voix qui m’appellent par mon nom, tout cela me redonne du courage et me ramènent à mon envie de regarder ailleurs que vers le fond. Ces images me traversent brièvement, mais je sens que ces flots tangibles d’énergie qui émanent de toutes ces femmes se traduisent en force de guérison. » A. Lorde, op. cit., p. 54

Les récits des artistes et auteur·ices sous leurs formes narratives, poétiques ou performatives font usage de la mascarade avec ses masques protecteurs et ses personnages ; ils repoussent les limites acceptées du visible et du dicible.

 

 

« sorcières sans cheveux

elles avancent » L. Giraudon, Polyphonie Penthésilée, op. cit., p. 104

 

 

 

 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

  • Mounia El Kotni, « Cancer », Feu! Abécédaire des féminismes présents, 2021, Libertalia
  • Annie Ernaux, Marc Marie, L’usage de la photo, 2005, Gallimard
  • Lydia Flem, La Reine Alice (2011), 2013, Points
  • Liliane Giraudon, Madame Himself, 2013, P.O.L
  • Liliane Giraudon, Polyphonie Penthésilée, 2021, P.O.L
  • Liliane Giraudon, Une femme morte n’écrit pas, 2023, Al Dante
  • Audre Lorde, Journal du Cancer, 1998, Mamamélis
  • Alice Munro, « Nuit », Rien que la vie, 2012, Editions de l’Olivier
  • Ruwen Ogien, Mes mille et une nuits. La maladie comme drame et comme comédie, 2017, Albin Michel
  • Susan Sontag, La Maladie comme métaphore (1977), suivi de Le sida et ses métaphores, 1993, Christian Bourgeois
  • Jo Spence, The cultural snipper: the art of transgression, 1995, Routledge

Articles

  • Kathy Acker, The gift of disease, 1997, The Guardian Weekend
  • Susan E. Bell, « Photo images: Jo Spence’s narratives of living with illness », Health: An Interdisciplinary Journal for the Social Study of Health, Illness and Medicine, 2002
  • Juliette Melia. « Jo Spence : politique du corps hors norme et autoportrait nu », Colloque « Corps en politique » organisé par Sonia Birocheau à l’Université de Paris Est-Créteil-Val de Marne, les 7, 8 et 9 septembre 2016. Colloque « Corps en politique », Sonia Birocheau, 2016, Créteil, France. hal-01425975
  • Risa Puleo, « Sitting beside Yvonne Rainer’s Convalescent Dance », Art Papers Winter 2018/2019
  • Ilene A. Serlin, « Interview with Anna Halprin », American Journal of Dance Therapy Vol. 18, No. 2, Fall/Winter 1996

Autres ressources

  • Maëlle Sigonneau et Mounia El Kotni, Im/patiente https://nouvellesecoutes.fr/podcast/impatiente/
  • Vanessa Desclaux, entretien réalisé avec Violaine Lochu en juin 2023 à l’occasion de la performance Crabe Chorus présentée à l’Institut Bergonié, centre régional de cancérologie, Bordeaux